Echouage de 4 Ziphius en Corse et sur l’île d’Elbe
Le samedi 18 mai 2024, veille de Pentecôte, 3 Ziphius désorientés s’échouaient vivants sur les plages d’Aléria, Ghisonaccia et Serra di Fiumorbu, côte orientale de la Corse. Le plus petit a été remis à l’eau par les passants, mais ce genre de renflouage depuis le bord a peu de chance d’être efficace. 2 jours plus tard, à 85 km de là sur l’île d’Elbe, un 4ème (ou celui renfloué) était retrouvé mort au large de Peducelli, et ramené sur la plage pour analyses (8). Des plongeurs sous-marins présents en Corse au moment de l’échouage étaient frappés par la violence de bruits de sonars qui se propageaient sous l’eau dans cette zone et les ont enregistrés.
De tous les cétacés de Méditerranée, le Ziphius (ou Baleine à bec de Cuvier) est le plus discret, le moins connu et le plus fascinant, du fait de sa biologie extrême. Champion d’apnée et de plongées profondes, il est capable de rester près de 3h00 sous l’eau et peut descendre à plus de 3000m (1).
Le revers de la médaille est qu’il ne semble pas pouvoir remonter de ces profondeurs incroyables sans phase de récupération, et qu’il entre dans une peur incontrôlable lorsqu’il est soumis à des bruits intenses inhabituels (explosions sous-marines, sonars militaires), remontant alors en panique en subissant les mêmes lésions d’accidents barométriques qu’un plongeur profond qui n’aurait pas respecté ses paliers de décompression : embolies gazeuses et graisseuses massives dans les principaux vaisseaux, les reins, les sinus, la graisse mandibulaire, le cerveau, hémorragies massives parfois, et destruction de la structure fine des cellules ciliées des bulles tympaniques, si la puissance du sonar est assez forte pour les léser (en fonction de la puissance, de la source et de la distance à celle-ci).
Un scénario qui semble se répéter
Dans le Sanctuaire Pelagos, on trouve généralement des Ziphius à deux endroits : le golfe d’Imperia où Miraceti les a croisés en 2023, et la zone entre le quart sud-est de la Corse et les canyons du nord-est de la Sardaigne où ils furent régulièrement observés lors de la mission GECEM destinée à explorer cette zone en septembre 2019 (2).
Le fait est que le 16 mai 2024, les marines militaires de la France et de l’Italie débutaient un exercice naval conjoint de grande ampleur (Mare Aperto 2024-1 (3)), en mer Tyrrhénienne.
Nous cumulons de nombreux cas précédents d’échouages massifs des Ziphiidés qui surviennent juste après ou pendant de tels exercices. Les plus récents à Chypre (9 Ziphius en février 2023 (4)), sans oublier le précédent exercice naval conjoint, Mare Aperto 2011, qui a vu l’échouage de 5 Ziphius, à Corfou et en Calabre (5). Ce ne sont que les cas signalés.
Des protocoles de mitigation, avec montée progressive de l’émission sonore avant utilisation en pleine puissance des sonars militaires, ont depuis longtemps été demandés (6).
Ce scénario répété d’échouage d’espèces classées vulnérables ou en danger par l’UICN en Méditerranée, dans des zones bénéficiant pourtant déjà d’une protection, alors que le risque et les secteurs sensibles sont connus, sont un réel problème pour leur conservation. Les populations de cétacés de Méditerranée, entre autres, sont fragiles et subissent de plus en plus de pressions anthropiques : pollution sonore sous-marine, collisions avec des navires, pollution chimique de l’eau, pollution plastique, dérangement… La liste est longue.
Dans un article publié par le journal Corse Matin le 21 mai 2024 (7), la préfecture maritime confirmait la tenue d’un exercice militaire et assurait respecter les règles : « Des activités de ce type en Méditerranée il y en a quasiment tout le temps, assure Pierre-Louis Josselin, capitaine de frégate. Et des émissions de sonars, il y en a très régulièrement aussi. Pour autant, on respecte des règles très strictes depuis 2020 dans le but de protéger les cétacés. Par exemple, on ne s’entraîne pas pendant les périodes de reproduction. »
Porter atteinte à une espèce protégée hors période de reproduction est tout aussi dommageable, et notons que personne ne sait réellement s’il y a une période particulière pour la reproduction des Ziphius. Comme celle de nombreux cétacés, leur durée de gestation est de 12 à 13 mois. Avec des femelles potentiellement gestantes tout au long de l’année, il est difficile de déterminer une période où les Ziphius ne seraient pas en reproduction.
Le Réseau National Échouages (RNE) dirigé par l’institut Pelagis de La Rochelle, a effectué des prélèvements et des autopsies sur les individus retrouvés échoués. Les résultats permettant de déterminer les causes de décès seront connus ultérieurement.
Pour en savoir plus, vous pouvez consulter cette présentation sur le sujet (11/2023), des Dr Alexandre et Adrien GANNIER, du Groupe de Recherches sur les Cétacés à Antibes (GREC) : Effets des sonars sur les cétacés : mieux les comprendre pour mieux les éviter
Frank DHERMAIN et Benjamin BOIRON
Sources :
(1) https://miraceti.org/les-cetaces/les-especes/baleine-a-bec-de-cuvier/
(2) https://miraceti.org/wp-content/uploads/2022/04/Etude_deplacements_grands_cetaces.pdf
(4) https://miraceti.org/echouages-baleine-a-bec-cuvier/
https://www.cetaces.org/ziphius-et-sonars-en-mediterranee/
(6) https://www.cetaces.org/ziphius-accidents-dus-aux-sonars/