Conservation
Les outils législatifs touchant de près ou de loin à la protection des cétacés en Méditerranée sont nombreux. Ce millefeuille de conventions, directives, règlements, lois et décrets ne facilite pas la lisibilité mais démontre que la protection de la biodiversité, et plus spécifiquement des cétacés, fait l’objet d’une attention croissante au sein de la communauté internationale et des législateurs. Ces outils juridiques peuvent constituer un appui solide pour dénoncer certaines pratiques pouvant porter atteinte à l’intégrité des populations de cétacés ou à leurs habitats et favoriser certains comportements plus vertueux.
Les outils de conservation des cétacés
Le droit de l’environnement est un droit relativement récent : c’est surtout au cours de la seconde moitié du XXème siècle qu’ont émergé de nombreuses règles, tant au niveau national qu’international, visant directement la protection de l’environnement. L’essor du droit de l’environnement est le résultat d’un double mouvement :
- Une prise de conscience de la sphère scientifique, de la société civile et de la sphère politique que les actes de l’homme ont un impact notable sur l’environnement, qui ne connaît pas de frontière ;
- les États ayant légiféré en faveur de l’environnement ont exprimé leur volonté de faire traduire leurs règles au niveau international afin de généraliser les efforts.
Cela s’est traduit par une densification des règles de droit national et par l’adoption de nombreux textes supranationaux sur le sujet. Les mesures relatives à la protection des cétacés n’ont pas échappé à cette tendance. En effet, des textes généraux ou qui leur sont spécifiquement dédiés aux cétacés et mammifères marins ont permis de développer de nombreux outils favorisant leur conservation, tant au niveau de leur habitat que des espèces elles-mêmes.
Statut
La Convention CITES, signée le 3 mars 1973, également appelée Convention de Washington encadre strictement le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction. La Convention CITES fonctionne au travers d’annexes : la plupart des cétacés figure en Annexe II depuis 1988 (espèces non menacées d’extinction actuellement mais qui pourraient le devenir si le commerce de leurs spécimens n’est pas étroitement contrôlé), exceptés 10 genres et 24 espèces inscrits en Annexe I (commerce strictement interdit).
L’adoption de la Convention de Barcelone en 1976 a permis de fixer le socle juridique des actions de lutte contre la pollution en Méditerranée, ensuite élargies à d’autres thématiques au travers de Protocoles. En ce qui concerne la protection des cétacés, un Plan d’action pour la conservation des cétacés en Méditerranée a été adopté en 1991 afin d’encourager les Etats riverains à renforcer les mesures en faveur de la protection des habitats et des populations de cétacés. Le Protocole ASP/DB – dédié aux aires spécialement protégées et à la diversité biologique en Méditerranée et issu de la Convention de Barcelone – a accentué ce besoin de coopération en dressant, dans ses annexes, la liste des espèces menacées ou en danger de mer Méditerranée. Elle comprend aujourd’hui huit espèces de cétacés considérées comme résidentes en Méditerranée.
Premier texte européen traitant de la biodiversité, la Convention de Berne a été signée le 19 septembre 1979. Ce traité a vocation à protéger la faune et la flore sauvage d’Europe et leurs habitats et fonctionne sur la base d’annexes. En 1996, un amendement vient modifier l’annexe II visant les espèces nécessitant une protection particulière afin d’intégrer les cétacés à cette liste.
En 2020, la France a également adopté son Plan d’action pour la conservation des cétacés, visant à préserver les populations de cétacés présentes dans les eaux marines françaises sous souveraineté et sous juridiction en termes d’abondance, de distribution et de diversité. Ce plan a pour vocation de s’intégrer dans un ensemble de politiques mises en œuvre à l’échelle internationale, européenne, nationale et régionale.
Cadre juridique
La législation nationale influençant la protection des mammifères marins et en particulier des cétacés de Méditerranée, a trois sources :
- les initiatives purement françaises ;
- la transposition ou la mise en application des textes européens ;
- La transposition des traités internationaux auxquels la France est partie.
Le cadre juridique français
Depuis la loi de 1976, première loi d’envergure sur la protection de la nature, certaines espèces bénéficient d’une protection dite « stricte » sur le territoire national. Les dispositions de cette loi sont désormais codifiées à l’article L. 411-1 du Code de l’environnement.
Plus récemment, l’arrêté du 1er juillet 2011 – qui a abrogé l’arrêté du 20 octobre 1970 et l’arrêté du 27 juillet 1995 – a mis à jour la liste des mammifères marins protégés sur le territoire national et les modalités de leur protection. Il revêt une importance particulière car il inclut la protection des habitats des mammifères marins, interdisant dès lors « la destruction, l’altération ou la dégradation des sites de reproduction et des aires de repos des animaux » et incrimine la perturbation intentionnelle des espèces listées, tout en précisant que cela comprend « la poursuite ou le harcèlement des animaux dans le milieu naturel ». Le Rorqual commun, la Baleine à bosse, le Dauphin commun à bec court, le Globicéphale noir, le Dauphin de Risso, le Dauphin bleu et blanc, le Grand dauphin et le Cachalot ont tous été désignés comme espèces protégées par cet arrêté.
En droit français, il existe plusieurs degrés de protection des espèces de faune et de flore sauvages. Ainsi, certaines espèces bénéficient d’une protection dite « partielle ». Dans ce cas, les espèces sont protégées au travers de l’article L. 412-1 du Code de l’environnement – modifié par la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages du 8 août 2016 – qui soumet à déclaration ou autorisation certaines activités humaines pouvant porter sur celles-ci ou sur leurs produits.
Le cadre juridique européen
Adoptée le 21 mai 1992, la Directive « Habitats » vise « à assurer le maintien ou le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels et des espèces de faune et de flore sauvages d’intérêt communautaire » tout en tenant compte des « exigences économiques, sociales et culturelles » (article 2). C’est un texte fondateur et essentiel de la protection de la nature au sein de l’Union européenne tant du fait de son champ d’application territorial que matériel. Elle impose à tous les Etats membres de l’Union européenne la mise en place d’un cadre légal pour la protection des espèces, notamment par la protection de leurs habitats (d’où son nom). C’est notamment grâce à cette Directive que des aires protégées interconnectées sur le territoire européen ont été créées par le réseau Natura 2000.
La directive identifie, au travers de ses annexes, les types d’habitats naturels pour lesquels les Etats membres doivent déployer des efforts de conservation du fait de leur intérêt biologique ou de leur rôle vis-à-vis de certaines espèces (les Zones Spéciales de Conservation – ZSC –) et les espèces devant faire l’objet de mesures de protection plus ou moins strictes. Deux espèces de cétacés sont listées en Annexe II (espèces d’intérêt communautaire qui nécessitent la désignation de ZSC) : le Grand dauphin et le Marsouin commun (absent de Méditerranée). Le Phoque moine et le Phoque commun sont également listés en Annexe II. Toutes les autres espèces de cétacés sont listées en Annexe IV (espèces présentant un intérêt communautaire et nécessitant une protection stricte).
Adoptée le 17 juin 2008, la directive-cadre « Stratégie pour le Milieu Marin » (DCSMM) constitue le pilier environnemental de la politique maritime de l’Union européenne. Son objectif est de maintenir ou d’atteindre, d’ici 2020, un bon état écologique du milieu marin. Pour y parvenir, un Plan d’Action pour le Milieu Marin (PAMM) doit être adopté pour chaque sous-région marine (ex. : la Méditerranée occidentale).
Il doit comporter cinq éléments :
- une évaluation initiale de l’état écologique des eaux marines et de l’impact environnemental des activités humaines ;
- la définition du bon état écologique pour ces eaux ;
- la définition d’objectifs environnementaux et d’indicateurs associés en vue de parvenir à un bon état écologique du milieu marin ;
- un programme de surveillance en vue de l’évaluation permanente de l’état des eaux marines et de la mise à jour périodique des objectifs environnementaux ;
- un programme de mesures devant permettre de conserver ou d’atteindre le bon état écologique des eaux marines.
La mise en œuvre des prescriptions de cette directive participe donc à protéger les habitats des cétacés, notamment en mer Méditerranée.
Plusieurs règlements concernant la protection des cétacés ou de leurs habitats ont été adoptés :
- Règlement du 20 janvier 1981 : il interdit l’importation des produits issus de toutes les espèces de cétacés ;
- Règlement du 3 décembre 1982 : il transpose, au niveau européen, la Convention de Washington sur le commerce international des espèces de faune et de flore menacées d’extinction (paragraphe 1.1.3) ;
- Règlement du 20 décembre 1992 (modifié en 1998 puis en 2004) : il interdit l’utilisation des grands filets maillants dérivants ;
- Règlement du 8 juin 1998 : il interdit la pratique de pêche à la « thonaille » à partir du 1er janvier 2002. Cette technique de pêche est accusée d’avoir un taux de prises accidentelles très élevé, notamment de Dauphins bleu et blanc.
Les principales conventions internationales
La Convention sur la diversité biologique, la CDB, a été adoptée le 5 juin 1992 à la suite du Sommet de la Terre à Rio de Janeiro. La CDB est le premier traité international engageant un aussi grand nombre d’Etats autour des objectifs généraux de conservation de la diversité biologique et d’utilisation durable des ressources (article 1er).
La France a décliné ces objectifs et les moyens d’y parvenir par l’adoption en mars 2022 du premier volet pré-COP 15 de la Stratégie nationale biodiversité 2030, tout comme l’Union européenne qui a défini sa stratégie en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030. Ce plan vise à protéger la nature et à inverser la tendance à la dégradation des écosystèmes.
La Convention sur les espèces migratrices appartenant à la faune sauvage (CMS) ou Convention de Bonn, signée le 19 juin 1979, a vocation à protéger les espèces qui franchissent une ou plusieurs frontières nationales au cours de leur cycle migratoire.
Cette convention favorise la coopération entre Etats concernés par l’aire de répartition d’une espèce.
La Convention Internationale pour la Réglementation de la Chasse à la Baleine a permis la création de la Commission Baleinière Internationale (CBI) en 1946. Cette Convention est chargée de réglementer la chasse à la baleine afin d’assurer la sauvegarde des peuplements baleiniers. Pour cela, la CBI peut définir des zones fermées à la chasse, réglementer les saisons et méthodes de chasse ou les espèces chassées par exemple. Cette convention est le premier texte international de ce genre à avoir vu le jour.
En 1986, au vu du nombre de prises et de la diminution des stocks, la CBI décide d’interrompre toute activité de chasse commerciale des grands cétacés, avec quelques exceptions. Ces dernières années, le champ d’application de la Convention s’est élargi aux petits cétacés.
Les sanctuaires marins
L’Accord Pelagos pour la création en Méditerranée d’un sanctuaire pour les mammifères marins a été signé en 1999 par la France, l’Italie et Monaco. Le Sanctuaire Pelagos qui en découle couvre une surface de 87 500 km² englobant la Corse.
Cette zone revêt une importance capitale à l’échelle de la Méditerranée pour la plupart des espèces de cétacés résidentes : les conditions climatiques et courantologiques favorisent le développement de plancton, base de la chaîne alimentaire marine, qui va attirer l’ensemble des prédateurs à partir du printemps, constituant ainsi une immense zone de nourrissage. C’est également un lieu de reproduction privilégié pour les cétacés qui mettent bas à la belle saison pour augmenter les chances de survie de leurs petits.
Parallèlement, cette zone concentre un grand nombre d’activités humaines, que ce soit en mer (trafic maritime, pêche, plaisance) ou sur les côtes (industries, tourisme) liées à une forte densité de population. Cette pression atteint son paroxysme en été avec un doublement des connexions de ferries pour la Corse et la Sardaigne et l’explosion des activités de plaisance (voile, yachts, jet skis etc.) précisément lorsque les densités de cétacés sont les plus grandes.
Le Sanctuaire Agoa est une Aire Marine Protégée de 140 000 km² dédiée à la protection des mammifères marins dans les Antilles françaises. Créé en 2010 par l’Agence Française pour la Biodiversité, il s’inspire largement du système de fonctionnement et de l’état d’esprit du Sanctuaire Pelagos. Les deux sanctuaires collaborent ainsi sur les thématiques du whale watching et des collisions .
Mesures de gestion
Certification « High Quality Whale-Watching® »
Au sein du Sanctuaire Pelagos, de nombreuses actions sont entreprises pour étudier les menaces qui pèsent sur les animaux et tenter de trouver des solutions avec les acteurs concernés. Dix ans d’étude et de concertation au sein du Sanctuaire avec les opérateurs français proposant des sorties en mer d’observation des cétacés, le whale watching, ont abouti à la création d’une marque de distinction pour valoriser les opérateurs les plus respectueux. Lancée en 2014, la certification « High Quality Whale-Watching® » s’est essaimée dans la Principauté de Monaco en 2015.
L’objectif est d’inciter les opérateurs non certifiés à se mettre au niveau du cahier des charges de la certification pour profiter de sa visibilité et de son attrait auprès du grand public.
Logiciel REPCET®
La loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, promulguée le 8 août 2016, a réformé une partie de la législation relative au patrimoine naturel français. Cette loi a également permis l’adoption d’une obligation, pour certains navires de s’équiper d’ « un dispositif de partage des positions visant à éviter les collisions avec les cétacés » (article 106 codifié à l’article L. 334-2-2 et suivants du Code de l’environnement).
Entrée en vigueur au 1er juillet 2017, cette obligation concerne tous les navires battant pavillon français et naviguant dans les sanctuaires Pelagos et Agoa, dès lors qu’ils sont d’une longueur supérieure ou égale à 24 mètres et qu’ils ont effectué plus de neuf navigations dans le périmètre de l’aire marine protégée concernée au cours de l’année précédente. Environ 80 navires sont ainsi concernés par cette nouvelle disposition. L’absence d’équipement ainsi que l’utilisation des données partagées au travers du dispositif anti-collisions dans le but de proposer des sorties commerciales comprenant une activité d’observation des mammifères marins sont sanctionnées par une amende d’un montant de 30 000€. Un arrêté en date du 11 décembre 2017 dispose que seul le dispositif REPCET® répond aux caractéristiques et exigences techniques posées par la loi.